La Bataille du Nord, première phase de l'offensive allemande commencée le matin du 10 mai 1940 avec l'opération du Luxembourg, devance l'invasion de la Hollande et de la Belgique, où le corps de bataille de l'armée française s'est malencontreusement avancé, permettant le succès des percées de Dinant et de Sedan.
Elle se termine après cette manœuvre particulièrement audacieuse par la chute de Dunkerque du 4 juin.
La partie des troupes françaises qui ne sera pas faite prisonnière, dans la nasse de la Manche, environ 120.000 hommes, s'embarquera par bateaux soit pour rejoindre dans les ports bretons l'armée française, soit pour gagner l'Angleterre avec le gros des forces britanniques ayant pu s'échapper de l'étau allemand victorieux.
Hitler triomphant décrétera que toutes les cloches des églises et des temples allemands sonnent pendant 3 jours. Le commandement français savait que la seconde phase de l'offensive allemande, la " Campagne de France " allait commencer.
Pour ne pas renouveler les erreurs de l'ancien commandement, le général Weygand instaurera alors un dispositif en profondeur plus approprié.
Ce seront les batailles de la Somme, de la Seine enfin de l'Orne, où interviendra la fin des combats pour la 3° DLC du général Pétiet, qui combattait sans relâche depuis le 10 mai, au matin duquel si symboliquement, l'état-major de sa 13° brigade avait recueilli la Grande Duchesse de Luxembourg.
Les deux brigades Maillard et Lafeuillade, ses 5 régiments dont le 3° RAM quasiment anéanti lors des combats de Dizy le Gros, se réorganisèrent autour de la 13° brigade devenue la colonne vertébrale de cet ensemble, qui accueillera jusqu'au 18 juin, nombre de troupes disparates, venues continuer le combat, dans une dernière mission de sacrifice pour protéger la repli de la X° armée du général Altmayer qui tente d'établir une ligne Couesnon- Vilaine, manœuvre qu'il présentera en présence du Général Pétiet et de ses adjoints le 12 juin à Rennes au Général de Gaulle venu l'inspecter.
Le général de Gaulle, anticipant sur la rupture des lignes françaises est convaincu dans la possibilité d'établir solidement le gouvernement à Quimper, sous la protection de la X° armée bien repliée et la 3°DLC du général Pétiet, conviction dont il fait part immédiatement, dans un long entretien téléphonique à Paul Reynaud Le lendemain 13 juin, Churchill est en France pour rencontrer le gouvernement français à Tours, où il est informé de la " suggestion " d'armistice des français.
Churchill les larmes aux yeux prononcera alors le fameux : " La Grande - Bretagne restaurera la France dans toute sa puissance et toute sa grandeur - in all her power and dignity- ", ce qui va anticiper sur l'armistice séparé.
C'est alors et seulement que de Gaulle, celui que Churchill dès ce jour appellera " le Connétable de France" arrivé à Tours, se joint aux groupes français et anglais.
Les disparités sont fortes entre le Général Weygand qui sait la limite de que l'on peut demander au courage et au sacrifice de l'armée française, armée qu'il sait bien avoir été trahie par le politique et ce même politique.
C'est en face et devant les autres ministres qu'il dira à Paul Reynaud, acquis par le général de Gaulle à former le Réduit Breton, sinon à gagner l'Afrique du nord :
" C'est à Paris que le gouvernement aurait dû rester. Le Sénat romain n'a pas fait autrement quand les barbares sont entrés dans Rome ".
Le maréchal Pétain, après le départ de Weygand pour Briare, s'adressera alors au gouvernement et à Paul Reynaud spécifiquement :
"Le devoir du gouvernement français est, quoiqu'il arrive, de rester dans le pays, sous peine de ne plus être reconnu pour tel…Je suis donc d'avis de ne pas abandonner le sol français et d'accepter la souffrance qui sera imposée à la patrie et à ses fils.
La renaissance française sera le fruit de cette souffrance….
Ainsi la question qui se pose en ce moment, n'est pas de savoir si le gouvernement demande l'armistice, mais s'il accepte ou non de quitter le territoire métropolitain.
Je resterai parmi le peuple français pour partager ses peines et ses misères.
L'armistice est, à mes yeux,la condition nécessaire à la pérennité de la France ".
Le lendemain 14 juin, le gouvernement part pour Bordeaux, d'où le général de Gaulle demande à Darlan un navire pour gagner via Brest l'Angleterre, afin d'y effectuer la mission dont le gouvernement Reynaud l'a chargé. Il dîne à l'Hôtel Spendide, à la table voisine le Maréchal Pétain.
En se levant, ils se serreront la main. Pendant que le maréchal gagne sa chambre, le Général de Gaulle monte dans sa voiture et prend la direction de Rennes, où il va être accueilli par les généraux Altmayer, Guitry et Pétiet.
Il se rend alors compte que la réalité du Réduit Breton n'est plus possible : L'armée doit se replier sur l'Afrique du Nord, par les moyens de la flotte française avec l'aide de la flotte britannique.
La Mission dont Paul Reynaud l’a chargé en l'envoyant en Angleterre est simple, et monolithique : Négocier l'aide et le soutien maximum des anglais pour pouvoir continuer la guerre.
Il se doit de gagner Londres au plus vite pour obtenir la décision et l'aide des britanniques. Le contre-torpilleur rapide Milan étant arrivé, le Général y embarque à 16h30.
Il débarquera à Plymouth à 22 heures. Le 16 au matin il s'installe à Londres à l'Hôtel Hyde Park.
Il règle le départ du navire Pasteur pour Bordeaux qui amène des canons de 75 et des munitions en provenance des Etats-Unis. Ensuite, il part déjeuner avec Churchill. Son mandat commence par l'idée de proposer une Union Franco -Britannique.
Réservé au début, Churchill devient rapidement convaincu, mais commettra la maladresse d'inclure sinon d'exiger dans le cadre de cette surprenante union entre les deux pays, que la flotte française gagne les ports anglais pour s'y mettre définitivement à l'abri. Progressivement, c'est Churchill lui-même qui devient l'avocat de cette union franco -anglaise qu'il veut totale.
C'est donc dans l'enthousiasme que de Gaulle engage la fameuse conversation téléphonique avec Paul Reynaud , à la suite de l'entrée de Churchill disant: " Nous sommes d'accord ", qui permet la rédaction du communiqué du 16 juin aussitôt approuvé par le cabinet britannique dans ces termes sans équivoque : " A l'heure du péril où se décide la destinée du monde moderne, les gouvernements de la république française et du Royaume uni, dans l'inébranlable résolution de continuer à défendre la liberté contre l'asservissement aux régimes qui réduisent l'homme à vivre une vie d'automate et d'esclave, déclarent : « Désormais la France et la Grande Bretagne ne sont plus deux nations, mais une nation franco-britannique indissoluble….: Chaque citoyen français jouit de la nationalité anglaise, chaque citoyen britannique devient un citoyen français… » La grande Bretagne forme immédiatement de nouvelles armées. La France maintiendra ses forces disponibles, soit terrestres, soit maritimes ou aériennes. L'union fait appel aux Etats-Unis pour fortifier les ressources des alliés et pour apporter leur puissante aide matérielle à leur cause commune… Où que soit la bataille, nous vaincrons. " Sa mission remplie, le général de Gaulle, heureux de son succès, se précipite, avec un exemplaire " anglais " de la déclaration, pour embarquer dans le premier avion pour Bordeaux.
L'intégralité de cette déclaration est lue par un Paul Reynaud enthousiaste au gouvernement français réuni au complet sous la présidence du président de la République Albert Lebrun.
Mais c'est la douche froide : Refusant de se considérer comme un Dominion, l'immense majorité du gouvernement refusera d'en entendre d'avantage.
Paul Reynaud mis en minorité, démissionnera. Alors qu'il croyait avoir atteint ce but fondamental, but essentiel qui n'avait pu être réalisé depuis le début des hostilités, maintenant qu'il pouvait être atteint, tout s'écroulait, sous la pression combinée des politiques et des militaires. Il n'y a plus de gouvernement français.
La France abandonnait l'Angleterre sinon Churchill son vrai allié Il n'y avait alors plus d'autre choix, que celui d'un armistice séparé. Seul le maréchal Pétain pouvait encore avoir l'autorité suffisante pour le demander. Albert Lebrun le nomme alors Président du conseil.
De Gaulle menacé d'arrestation, Churchill mettra à sa disposition un avion pour qu'il puisse gagner Londres le lendemain et de là appeler les français à la Résistance. Le 16 juin s'achevait. Revenons en arrière :
L'escadron de Roys avait été nommé le 1° juin escadron divisionnaire.
Il prend aussitôt son service auprès du Colonel Lafeuillade et de l'Etat Major de la 13° BLM, assurant en plus le lien direct avec les unités combattantes principalement le 3° RAM, son jumeau le 4° Hussards et le 2° Dragons portés.
Entendirent-ils directement ou indirectement les propos du Général de Gaulle et de sa délégation sur un mouvement possible pour l'Angleterre, où s'embarqueront alors les troupes du général Béthouart… ?
Pour le moment présent, il ne peut hésiter.
Il se doit d'assurer intégralement sa mission et son devoir : Protéger son Colonel et l'Etat major, être l'articulation active des unités. Et ce sera le 18 juin.
C'est la fin pour le 3° RAM, sa brigade et sa division après 39 jours d'action ininterrompue initiée à Audun sur Tiche, Esch sur Alzette et au Luxembourg.
Au matin de cette dernière journée de combat, le capitaine de Roys ne pourra empêcher la capture félonne du Colonel Lafeuillade et de son l'état-major par les troupes portées de la II° division d'infanterie motorisée du général Grüwell avant-garde du corps blindé Hoth..
Avec ses derniers quatre pelotons, il restera à ses côtés. Paris, ville ouverte le 12 juin, où les allemands des premiers régiments de l'Armée von Kuechler y entreront le 14.
Les armées de l'est menacées à leur tour d'encerclement, celles de l'ouest poussées vers le " réduit breton " après la chute du Havre et de Cherbourg, il n'y a guère de solutions pour le gouvernement français, qui enverra le 21 juin ses négociateurs à Rethondes où sera conclu la fin des combats.
Mais dans ces deux journées des 17 et 18 juin, ni le Capitaine de Roys et son 3° escadron, ni son glorieux chef de brigade le colonel Lafeuillade, ni aucune des troupes qui combattent encore, n'auront entendu ni pu entendre ces mots qui vont profondément modifier l'histoire : D'abord, l'adresse solennelle du 17 juin à midi et demi aux français du maréchal Pétain leur annonçant à la radio nationale :
"Je me suis adressé cette nuit à l'adversaire, pour lui demander s'il est prêt à rechercher avec nous, entre soldats, après la lutte et dans l'honneur, les moyens de mettre un terme aux hostilités. ".
Ensuite, l'extraordinaire et galvanisant discours du 18 juin à 15 heures de Winston Churchill à la Chambre des Communes:
" J'ai parlé.... de l'immense désastre militaire, issu du retard que le Haut Commandement français mit à ordonner aux armées du Nord de se retirer de Belgique, lorsqu'il sut que le front français était définitivement percé à Sedan et sur la Meuse.…La bataille de France a pris fin. La bataille de Grande Bretagne peut commencer d'un moment à l'autre. Du sort de cette bataille dépend le sort de la civilisation chrétienne ".
Un peu plus tard dans cette historique journée du18 juin, vers 18 heures, le général de Gaulle, arrivé la veille à Londres, entouré de Jean Oberlé et de Jean Marin va lancer son Appel, que la BBC diffusera encore une seconde fois le lendemain :
" Moi, général de Gaulle, actuellement à Londres, j'invite les officiers et les soldats français, qui se trouvent en territoire britannique ou qui viendraient à s'y trouver…à se mettre en rapport avec moi…"
Enfin, ce même 18 juin, le message adressé le soir à Berlin par l'ambassadeur d'Allemagne à Moscou von Schulenburg qui télégraphie au chancelier Hitler : " Monsieur Molotov m'a exprimé les félicitations les plus chaleureuses du gouvernement soviétique pour le magnifique succès remporté par les forces armées allemandes. Monsieur Molotov m'a informé de l'action soviétique entreprise contre les Etats Baltes. " Alors que l'histoire s'accélère, les hommes et les individus se déterminent là où ils sont comme ils le peuvent. Le rapport adressé par la capitaine de Roys à son général de Division, le Général Pétiet en octobre, prend alors une dimension historique extraordinaire en éclairant avec ses détails le contenu des journées qui vont suivre,vécues par un français en France qui tentera lui aussi à s'embarquer pour l'Angleterre, : Le capitaine de ROYS, commandant le 3° escadron du 3° Régiment d'Autos - mitrailleuses, à Monsieur le Général PETIET, commandant la 3° D.L.C. J'ai l'honneur de rendre compte : Le 18 juin 1940, dans la région de Château - Giron (I.et V.) l'Etat Major de la 13° B.L.M. abusé par une ruse de guerre déloyale fut conduit vers 17 h par une importante formation ennemie dans un terrain plat découvert et sévèrement gardé.(Erbré, S.O. de Vitré).
Tous les officiers décidèrent de s'évader.
Il fut admis que la nuit du 18 au 19 permettrait les préparatifs, la destruction des documents.
Les sous - officiers et les hommes capables de s'évader reçurent des consignes.
L'impression du Colonel et des officiers était que la journée du 19 ne manquerait pas de fournir toutes sortes d'occasion qu'il suffirait de saisir.
Si le séjour dans " le camp " se prolongeait le 19, un plan connu seulement du Lt Madeline, du Lt de Nonneville et du chef Delécluze (1) serait appliqué :
Le feu serait mis aux nombreux véhicules du camp, à un dépôt d'essence dont l'accès était facile.
Les officiers de la B.L.M , leurs sous-officiers et hommes les plus sûrs ne devaient être prévenus qu'au dernier moment.
L'évasion serait tente dans la surprise et la confusion.
Le Lt de Nonneville ayant demandé et obtenu la camionnette popote, cinq ou six camions et camionnettes (dont une radio) furent introduits sous les plus invraisemblables prétextes dans le coin réservé aux officiers de la B.L.M.
Ajoutés aux voitures de liaison laissées comme " dortoirs " aux officiers, ces véhicules formèrent un carré où les officiers étaient relativement isolés.
Les archives et les documents secrets (dossier Luxembourg) alimentèrent le feu de la popote et la camionnette radio put émettre pendant près d'une heure, passant à la division " 13ème BLM internée Erbrée".
Le 19 juin vers 10h, ordre fut donné au Colonel de faire former tous les véhicules du camp en colonne sur la route en direction du Nord, voitures des officiers en tête.
Il s'agissait, disaient les allemands de faire mouvement vers une ville où nous serions installés confortablement en attendant une libération qui ne pouvait tarder.
Ceci fut accueilli avec une évidente satisfaction qui dut tromper les allemands car ils négligèrent la surveillance des voitures des officiers, mais encadrèrent fortement les camions sur lesquels ils firent monter des piquets en armes.
(2) La colonne longue d'un km était gardée en tête par un camion armé d'une mitrailleuse et monté par 10 hommes, en queue par un camion semblable et un peloton moto. Un deuxième peloton moto parcourait la colonne. Les officiers de la brigade, colonel en tête étaient derrière l'officier commandant la colonne.
Le Lt Madeline qui avait lié son sort au mien, pilotait la troisième voiture : une puissante Chrysler Royal civile (voiture du colonel Watteau).
Ma voiture également puissante mais portant les écussons du RAM suivait la Chrysler.
Nous avions décidé de tenter notre chance en voiture. Dès le début du mouvement, apparut un certain flottement que les allemands malgré leurs ordres ne purent faire disparaître.
Il provenait du matériel hétéroclite que les allemands comptaient faire marcher à la vive allure de leurs colonnes homogènes, entraînées et disciplinées. Plusieurs arrêts furent, somme toute, imposés à l'énergique Lt commandant la colonne.
Ces arrêts furent mis à profit par les officiers de la BLM en particulier par le capitaine Hachette et par le Lt de Nonneville qui purent se procurer des vêtements et des papiers pendant que leurs camarades entretenaient de sujets divers l'officier allemand. Au cours d'une arrêt, un certain nombre d'officiers étrangers à l'arme, d'une triste tenue, fut réparti dans les voitures de la BLM. La présence de ces indésirables me fit refuser pendant la marche au Lt Madeline l'autorisation de quitter la colonne par un chemin pourtant bien tentant.
Le Lt Madeline obéit et fit preuve ainsi d'une discipline que je dois signaler. Il s'agissait d'aboutir. Or, ayant eu la chance de conserver nos armes, aboutir était pour nous, soit retrouver une unité combattante, soit ne pas retomber aux mains de l'ennemi, et les officiers imposées à nos voitures n'admettaient pas cette entreprise. L'initiative de notre échappée est due au Lt Madeline.
Je voyais différemment la solution. Toujours est-il, que cet officier qui avait réussi lors d'un précédent arrêt à se procurer un moreau de calendrier local me redit compte vers 13h, que nous étions arrêtés à 1500 mètres de l'important carrefour de Bourgneuf. L'occasion apparaissait, et la décision fut d'en profiter sans plus chercher.
Avec Madeline, nous demandons à l'officier commandant la colonne l'essence pour ne pas tomber en panne. Les pleins sont faits (100 litres dans la Chrysler, 80 dans ma voiture assurant un rayon d'action de 300 km (environ).je demande au colonel l'autorisation de partir. Il me l'accorde et veut m'accompagner. Avec émotion je le prie de n'en rien faire. Notre magnifique colonel en effet est en proie à une violente crise de foie, conséquence probable de sa réaction après l'acte déloyal de l'ennemi.
Je ne veux pas l'entraîner dans une aventure qui peut demander des efforts physiques qu'il ne pourrait supporter malgré son extraordinaire courage. Le Colonel me conseille de partir vers le Nord, vers la côte. Il suppose comme Madeline et moi du reste que le sud est impossible.
Avec Madeline, nous conseillons aux indésirables de quitter nos voitures. Mon chauffeur et mon ordonnance préfèrent rester avec les autres, je les remplace par des volontaires, (Cavart et Ennuyer). Je cherche Hachette, de Nonneville et Beaumont. Ils ne sont pas là et le temps presse. Deux officiers d'artillerie de DCA se joignent à nous (Lt Chaleyssin et S-Lt Daudans); Le chef Proust et le dragon Logeais du 2ème RDP accourent. Le lieutenant allemand commande " en avant ".
Nous nous mettons en panne afin de nous faire dépasser par quatre voitures qui augmenteront la distance entre la mitrailleuse et nous. Un motocycliste allemand s'inquiète de la panne, mais se rassure devant les cris : " Schnell, Vorwaerts ".
Lorsque les quatre voitures nous ont dépassés, lorsque les 200 m. de distance permettant l'élan sont acquis, rétablissant le contact nous démarrons. J'ordonne au motocycliste allemand d'aller rendre compte à son officier. Il démarre, nous le suivons et à 110 à l'heure nous bifurquons au carrefour de Bourgneuf, prenons la 1ère à gauche, 1ère à droite, 1ère à gauche, et nous avisons. Le détachement sous mes ordres comprend 4 officiers, un maréchal des logis chef et 3 hommes. Notre intention est de gagner la côte par Cancale en vue d'embarquer pour l'Angleterre.
Ayant nos armes, nous resterons en tenue. Utilisant les routes secondaires, nous éviterons les agglomérations importantes et nous enverrons chercher le renseignement chez le curé des petits villages. Si un ou deux motocyclistes allemands nous arrêtent nous jouerons la confiance et nous saisirons d'eux. Si l'ennemi est plus nombreux nous foncerons, toujours 1ère à gauche, 1ère à droite, 1ère à gauche. Comme dernière solution, pied à terre et Cancale.
Nous disposons d'une carte au 1/1.000.000ème et d'un morceau de carte d'un calendrier local. Le 1er bond fixé est St -Georges de Reintembault, nous l'atteignons facilement vers 16h. après quelques émotions prévues ; Les deux voitures marchent à 100 mètres de distance, les routes importantes sont franchies comme au service en campagne. Le dernier couvert avant St-Georges -de- Reintembault est utilisé et monsieur le Curé est convoqué.
Il fournit d'utiles renseignements : Les allemands sont attendus, ils ont téléphoné leur arrivée. Nous lui confions les bagages que nous avons préparés la veille. Les hommes que nous avons envoyés aux provisions tardent.
Ils rentrent avec des vêtements civils et me demandent de les déposer. Ils sont fatigués, veulent se reposer et continuer à pied. Ils promettent de faire leur devoir (3). Le détachement ne comprend plus que les 4 officiers et un chef.
Il se porte à 18h.dans la région de Cancale par Antrain. Les pleins peuvent être complétés en cours de route. Une carte Michelin, (la 59) nous est donnée. Mais les renseignements deviennent inquiétants, les allemands sont signalés partout, se dirigeant vers l'est et le nord -ouest.
Notre conduite varie suivant l'attitude des habitants : Quand ils sont réticents et ne savent rien, c'est le signe que les allemands sont là ou sont passés.
Leur proclamation affichée sur les murs annonce l'interdiction sous peine de mort d'aider tout militaire des forces alliées.
Les petits Hentschel 126, en rase-mottes, décrivent des cercles autour de localités que nous situons. Il parait que l'apparition de ces avions précède généralement d'un quart d'heure l'arrivée des Moto- cyclistes. Le passage de la Nationale 776, celui de Couesnon, dans la région d'Antrain, s'annonce difficile ; nous marquons un bond à la Beucheraye, petit village ayant des vues sur la Nationale 776 que nous atteignons vers 20h.
La Chrysler tourne brusquement et s'engage dans une cour : à 50 mètres d'elle, un motocycliste allemand garde le croisement de la 776, il jalonne une colonne allemande allant vers le Nord.
Les allemands défilent par petits paquets, (camions et camionnettes), à toute allure, pendant 20 minutes. Nous ne franchirons pas la route, avant d'avoir de nouveaux renseignements sur Cancale et nous profitons du départ du jalonneur pour cacher les voitures dans un chemin creux, puis nous nous installons aux abords d'une ferme propice, à 100mètres de la 776 que nous surveillons.
Le fermier, d'un rare dévouement ira chercher le curé de village demain matin ; il nous ravitaille et participe à la surveillance. Toute la nuit les colonnes allemandes passent, on perçoit le bruit des chenilles. Le 20 juin, le curé du Tremblaye n'arrive qu'à 11 heures mais ses renseignements sont précieux : Cancale était libre à 10 h.
Les colonnes allemandes semblent d'être dirigées sur Pontorson/Avranches, mais Antrain est fortement occupé, un pont serait encore libre au sud du Tremblaye. C'est notre seule chance, en auto tout au moins.
Nous avons pris une forme moins révélatrice. Un peu lavés, rasés et coiffés, nous roulerons en bras de chemises blanches, nos vareuses, casques ou képis à nos pieds. Reprendre une allure militaire sera toujours facile. Seul, je resterai harnaché mais j'ai un loden protecteur. Mes cheveux gris et mon teint fatigué peuvent faire admettre la crainte de l'air.
Les écussons et les attributs militaires de ma voiture ont été grattés, graissés et couverts de poussière. Vers 12h.nous pouvons franchir entre deux colonnes allemandes la nationale 776. Nous atteignons les abords de la Fresnaye (15 km. Sud de Cancale) à 14h. Madeline et Chaleyssin sont envoyés à pied en reconnaissance au village, ils ne rentreront qu'à 18 h. Madeline a trouvé en l'instituteur du pays, M. Robin le plus intelligent dévouement.
Avec Chaleyssin , il a pu, caché dans la camionnette du charcutier aller jusqu'à Cancale qui est encore libre. L'administrateur de la Marine M. Thomas annonce qu'un destroyer anglais va prendre 300 polonais. Les gendarmes sont muets. Ils déclarent être prisonniers, ils ont reçu de Saint Malo le télégramme suivant : " Considérez - vous comme prisonniers. ".
Cinq motocyclistes allemands sont en effet signalés à Saint Malo. Pendant l'absence de Madeline et de Chaleyssin, nous avons aménagé la Chrysler, car nous ne pourrons plus rouler en deux voitures.
La Chrysler n'a plus que 20 litres d'essence contre 80 à la Renault. Or la Chrysler peut seule passer pour la voiture de réfugiés aisés, dont nous nous efforcerons de prendre l'allure. Il s'agira de tenir à 5 dans ce cabriolet. Un dépôt d'objets précieux mais encombrants (armes en surnombre, casques, masques, sacs etc.) est remis à M. Robin.
La Renault est cachée dans un buisson, deux de ses roues sont prêtées au charcutier qui les rendra plus tard avec la voiture. Vers 17h.nous partons dans la Chrysler et nous apprenons à Cancale que le destroyer signalé ne fera pas escale en raison du mauvais temps.
Il n'y a plus dans le port un seul bateau capable de prendre la mer démontée. Force d'appliquer une des variantes de notre plan. Nous décidons de courir sur Brest et espérons arriver avant l'ennemi.
Nous rentrerons d'abord dans notre verger de la Fresnaye où nous passerons la nuit car tout déplacement nocturne serait une folie dans un pays que nous ne connaissons pas où seuls les petits chemins nous sont permis et les renseignements des habitants indispensables.
Nous travaillerons la carte d'itinéraire et les variantes. Un officier de cavalerie le Lt Blondel se présente à moi. Il s'est échappé de Dinan et il venait de conduire quelques hommes.
Il cherche à gagner l'Angleterre et demande à se joindre à nous. Il a une moto avec laquelle il pourra nous éclairer. Le 21 de bonne heure les colonnes allemandes venant de Dol roulent vers Saint Malo, nous comptons 150 camions bâchés une vingtaine de chars, quelques pièces d'artillerie moyenne, qui défilent à la vive allure des motocyclistes allemands rôdent au sud du village et il faut attendre leur départ. Vers 11 h. nous pouvons nous échapper et franchir la Rance par le pont indiqué par Mr Robin. Nous prenons notre orientation générale : Jugon et le Sud de la Nationale 12.
Blondel est un bon éclaireur, notre moyenne est excellente, nous rencontrons quelques motocyclistes, mais leur mission ne doit pas comporter l'arraisonnement des Chrysler.
La nuit nous surprend dans la merveilleuse région de Plever - Christ. Nous avons bifurqué vers Ker-Emma (ouest de Saint Pol de Léon) où Madeline pense trouver des amis, Brest étant occupé massivement. Le 22 nous quittons Ker -Emma vers 10h.
Les allemands viennent de quitter la maison où nous cherchons refuge. Nous ne pourrons plus rester en tenue. Les allemands sont partout et le village est plein de réfugiés flamands très suspects. Je divise le détachement par groupes de deux, chaque groupe est recueilli par une maison. J'envoie des reconnaissances vers les ports (Roscoff, Carantec). Et je vais, inutilement à la Marine " de Ploescat, puis à Brignogan, où le docteur Le Marc'hadour qui connaît admirablement la côte et ses pêcheurs, m'apprend qu'il est matériellement impossible de quitter la côte.
J'estime alors qu'il n'est plus possible de rester groupés et de risquer la capture de tout le détachement ; je décide sa dislocation. La journée du 23 sera employée à chercher la sortie des trois groupes : Blondel et le chef Proust en moto, iront vers le sud (4) Chaleyssin et Daudans qui ont sur eux leur brevet d'ingénieur partiront, un industriel qui rejoint son usine à Parthenay (4), avec Madeline nous tenterons de gagner avec la Chrysler (qui n'a plus que 5 litres d'essence) Rambouillet où j'ai été en garnison, la Seine et Marne où j'habite, le Centre que je connais bien. Notre premier bond sera La Barre en Ouche où Madeline a sa famille. Nous achetons une bicyclette à Lesvenin, (nous n'avons pas assez d'argent pour en acheter deux).
S'il faut abandonner la Chrysler, nous ferons 30 ou 40 kilomètres, l'un à pied l'autre à bicyclette, par jour. Les gendarmes de Lescenin nous donnent cinq litres d'essence et un renseignement invraisemblable : A Tholé, à 8 km. Nord -Ouest de Morlaix se trouve un dépôt considérable d'essence, il a été incendié, mais la partie inférieure de certaines piles de caisses ne se serait pas brûlée.
Le gendarme assure mystérieusement qu'il y a de quoi faire le tour de France. Nos hôtes de Ker-Emma traitent d'absurde cette assertion. Ils ont vu cet incendie.
J'admets la validité d'un renseigne- ment de gendarme et je décide que nous passerons par Tholé. Au point où nous sommes, un crochet, même inutile, n'ajoutera que quelques kilomètres à faire à pied. Le 23 juin 1940, réunissant une dernière fois le détachement, je dicte une déclaration résumant notre conduite du 18 juin à ce jour et attestant notre volonté d'aboutir. Un exemplaire signé par tous est remis à chacun.
Puis après avoir donné l'accolade à mes braves compagnons, nous nous séparons. A 7 h. la Chrysler démarre, nous sommes assez correctement vêtus, les papiers du moment seront : pour Madeline, une carte d'alimentation indiquant Mexico lieu de naissance (et c'est exact), pour moi mon carnet d'invalidité pour blessures de guerre 1914-1918.
Nous jouerons les réfugiés et nous prendrons la route Nationale. A Saint Pol de Léon, un garagiste a le cran de faire le plein d'essence et de nous vendre quelques bidons supplémentaires.
Les allemands faisant eux même le plein à sa pompe principale, une affiche apposée sur le mur interdisant la vente de l'essence aux civils. Nous allons néanmoins à Tholé où tout parait bien brûlé. Après quelques minutes de recherche, nous trouvons des caisses pleines d'essence.
Le renseignement était valable. Nous mettons près de 300 litres d'essence dans le spider et nous filons à 130 à l'heure par la nationale 12 et la nationale 176. Nous croisons des colonnes allemandes, traversons Guingamp, St Brieux, Lamballe, Dinan, Dol, sans incident.
Toutes ces villes sont occupées par les éléments motorisés (6). A la Ferté Macé, nous revoyons le terrain de nos derniers combats du 17.Il ne reste plus trace du matériel ennemi détruit par le Lt Madeline.
L'accès de Carouge nous offre le premier contact sérieux avec l'ennemi : Après un virage nous trouvons une arme anti-char mal camouflée, un Gefreite demande des papiers, nous montrons les nôtres, il ne considère que ma date de naissance 1898, dit " allez " et demande à Madeline s'il est soldat français.
Madeline exhibe sa carte d'alimentation, se prétend mexicain et le Gefreite le libère. Nous sommes ahuris et nous émettons une grosse plaisanterie.
Mais aux abords immédiats de Carrouge, second arrêt. C'est plus sérieux, nous sommes épluchés par un Feldwebel, un homme en armes est devant la voiture. Mon livret de pension n'est pas une bonne pièce, il me le démontre : - Quand avez-vous été invalide ? -En 1918- - Mais vous êtes né en 1898.- - Oui, mais je me suis engagé en 1915, et j'ai eu trois blessures,- - Bien, bien, beaucoup courage, mais pas papiers. Avez-vous des armes ? - Non regardez ! Je sors de la voiture et m'appuie sur ma canne. - Ah, invalide vraiment, je vois bien maintenant " - Et vous ? dit-il à Madeline. - Mexicain ! répond ce dernier et il tend sa carte d'alimentation. - Voilà, dit le Feldwebel, bon papier identité, le vôtre pas valable. Où allez-vous ? - A Paris "- - A Paris ? " -Est ce défendu ? Je cherche ma femme et mes enfants ? - Non, non allez ! et en allemand, il dit à ses sous-ordres " : Laissons-les aller, ici ce n'est que le premier contrôle." Nous évitons donc Sées et prenons la première route à gauche. Nous interrogeons un paysan qui nous apprend que Sées est gardé par des militaires et des civils qui demandent des papiers. Nous reprenons les petites routes et nous réussissons à franchir Gacé avec une colonne de réfugiés.
Nous échappons de justesse à un contrôle et vers 19 h. nous arrivons dans la propriété objet du premier bond, le château de Cernay,3 Km. Est de la Barre en Ouche. Les allemands viennent d'évacuer Cernay, mais ils sont partout ailleurs. Dans les bois, nous cachons la voiture qui, depuis le 19 juin a parcouru 1250 km., les armes, les papiers. Nous apprenons que les allemands se saisissent de toutes les voitures et les bicyclettes. Personne ne comprend comment nous avons pu arriver avec une Royal Chrysler et une bicyclette neuve.
Nous non plus. Nous ne pourrons continuer qu'à pied et cela nous semble facile, car nous connaissons bien la région. Le 25 juin, nous apprenons que l'armistice demandé est une réalité. Nous sommes abattus, nous n'avons pas abouti. J'estime qu'il est désormais inutile de courir un risque et qu'il faut regagner Paris où nous verrons une autorité. La mère du lieutenant Madeline qui se consacre au ravitaillement de Suresnes, nous emmène dans sa voiture S.P. Le 8 juillet, nous apprenons que beaucoup des nôtres sont à Paris. Je suis le Capitaine le plus ancien du R.A.M. Je donne à tous l'ordre de ne tenter aucune imprudence. La ligne de démarcation peut être franchie, mais ce n'est plus qu'une question d'heures.
Nous gardons la liaison et je rends compte par l'intermédiaire de ceux qui peuvent passer normalement (Capitaine de Brignac, Lt Madeline, Capitaine de Coulange). Officier d'active, n'ayant que des papiers militaires (Carte d'identité 39, carte bilingue 40, livret de la légion d'honneur et de pension, plaque d'identité) je reste caché chez des amis ne voulant me déclarer nulle part. Je n'ai réussi à passer la ligne que le 27 septembre. Le 5 octobre 1940, j'ai eu l'honneur de rendre compte au Général de corps d'armée Pétiet, ancien commandant de la 3ème DLC. Signé : ROYS Dès sa démobilisation confirmée, le capitaine de Roys, prendra le chemin de sa maison de Saint Ange où l'attendait sa femme et sa famille. Saint Ange n'est pas encore remis du pillage et des dévastations que les français lui ont fait subir grâce au prétexte de l'exode, avant que la Wehrmacht ne vienne l'occuper.
C'est là que sans perdre un instant, va commencer pour le marquis de Roys devenu civil, une nouvelle vie, celle du Résistant :
Il n'avait pu rejoindre l'Angleterre, il continuera son combat de France. (1) Le chef comptable de l'Escadron ROYS (2) Dans la nuit du 18 au 19, un millier d'hommes étrangers à la Cavalerie furent parqués dans le camp ; ces hommes étaient généralement mal tenus, débraillés et ivres, ils pillèrent leurs camions dans la nuit (3) Logeais et Cavard apprirent en route l'Armistice, ils se présentèrent à la gendarmerie qui les démobilisa et ils regagnèrent leurs foyers. Ennuyer fut repris dans la région du Mans, il s'évada après 8 jours de détention. (4) Rejoignirent Tarbes, d'où ils me firent rendre compte (5) Atteignirent la zone libre (6) Le matériel parait neuf, les hommes jeunes et frais sont habillés de neuf. Pour information, ce texte a été publié dans le N° 176 (Les premier article Le Soldat est paru dans le N° 175), Nouvelle série Volume 8 du 2° trimestre 2005,de la Revue des Amis de Moret et de sa région. Il y est doté d'une riche illustration avec photos et cartes géographiques.
Les exemplaires de la revue sont disponibles à l'adresse postale des Amis de Moret :
Les Amis de Moret et de sa Région Hôtel de Ville de Moret Rue Grande 77250 Moret sur Loing ou à l'adresse e-mail : amisdemoret@wanadoo.fr
Asa, Novembre 2005, Indice 1
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